par Nicolas Maisetti (28 mars 2013)
Qui sont ceux, sur twitter ou dans les cafés, qui parlent de Marseille, de ce qui ne va pas, de ce qu’il faudrait faire, de son histoire, de ses nuits et de ses lumières ? Appelons-les les marseillologues. Plus ou moins amateur ou professionnel, le marseillologue partage et dispose avec « Marseille » d’un terrain d’observation et d’un objet d’analyse. Il est aussi celui qui ne peut s’empêcher de
« tomber dans l’explication particulariste pour défendre une ville injustement affublée d’une ‘mauvaise réputation’. Ce travers peut notamment s’expliquer par le parti pris de ne pas recourir à la comparaison avec d’autres villes françaises ou européennes, parti pris qui compromet immanquablement l’objectif de banalisation de Marseille. (…) Ce regard trop centré sur Marseille conduit les auteurs à conclure à des spécificités marseillaises sur des aspects qu’une analyse plus approfondie aurait pu permettre de repérer dans d’autres villes. »
Ce jugement est dressé par Gilles Pinson à l’encontre du fameux Gouverner Marseille de Michel Samson et Michel Péraldi. Pinson leur reproche, à juste titre, d’observer une singularité marseillaise sans réellement s’attacher à analyser ce qui pourrait éclairer des situations se déployant dans d’autres contextes. Ainsi en est-il par exemple du « système defferriste » qui qualifierait un leadership local autour de l’alliance entre la droite libérale et la gauche socialiste. Loin de caractériser une « spécificité », ce modèle de « coalition de croissance » se retrouve dans nombre de grandes villes en France et en Europe durant les Trente Glorieuses.
La marseillologie est donc d’abord un défaut de la logique, un raisonnement tautologique, qui ressemble au culturalisme lorsqu’il déduit des comportements observables, une « culture » jamais observable. Les Marseillais sont – au choix – rebelles, inciviques, gouailleurs… parce qu’ils sont Marseillais. C’est ce type de discours qui conduit à l’insupportable « vous ne pouvez pas comprendre, vous n’êtes pas d’ici » (paradoxe sublime, quand cette sentence intervient juste après un autre passage obligé de la marseillologie, qui vante la ville composée de gens qui viennent d’ailleurs). Si, au moins, la marseillologie était confinée aux terrasses des bistrots.
Malheureusement, elle est partout, et surtout dans les discours politiques. Truffés de références à des traceurs sémantiques aussi creux que récurrents, ils fondent une espèce de trame discursive de la marseillologie. Ecoutez n’importe quel élu (ça fonctionne aussi pour certains « experts »), et vous n’attendrez pas longtemps avant d’entendre : 2 600 ans, cité phocéenne, rebelle, multiculturalisme, clientélisme, OM, porte d’Orient… Privez les donc de ces quelques mots clés, et ils se retrouvent perdus, incapables de « dire » quelque chose.Il faut donc se méfier de la marseillologie qui consiste en des facilités de langage destinées à ne surtout rien dire d’autres que ce qui est attendu.
L’une des armes pour combattre ces facilités et pousser ceux qui gouvernent la ville à rompre avec la marseillologie est peut-être de s’en moquer, voire de s’en parer. C’est ainsi qu’on a imaginé, avec des amis, l’idée d’un rassemblement (c’est-à- dire « vient qui veut ») de « marseillologues » composés de cette petite communauté avec laquelle on échange sur le net ou installée dans ces terrasses évoquées plus haut. Pourquoi pas revendiquer et porter le slogan « Nous sommes des marseillologues » ?
Ayant en tête, le problème que pose le recours systématique au convenu et à l’attendu, participant de l’impossibilité de penser les possibilités du changement (ou de la résistance ; après tout, le changement fait aussi partie de cette novlangue), nous proposons de le mettre à distance en s’emparant de l’étiquette de la marseillologie.On pensait organiser un bingo, prenant prétexte de n’importe quel discours pour pointer l’étendu des ravages posés par sa vacuité — bon, c’était avant que Marsactu nous coupe l’herbe sous le pied avec un bingaudin très bien fait, centré sur les bons mots du maire qui a donné à la marseillologie une dimension vertigineuse.
On pensait surtout organiser un apéro (autre mot-clé de la marseillologie, ou comment tout commence avec un apéro – si possible avec un peu de sirop d’orgeat) réunissant cette Nouvelle Société Savante de la Marseillologie lors du Camping du off. On pourrait alors revendiquer à notre compte ce label, et contribuer à faire prendre conscience à ceux qu’on écoute de leur insuffisance quand il s’agit de raconter la ville. Pourquoi pas, dès lors, les pousser à parler autrement.
par Fabien Pécot (29 mars 2013)
Nicolas Maisetti vient de publier un billet intitulé : « Qu’est-ce que la marseillologie ?« , je lui emboîte le pas à toute vitesse. La marseillologie est une science, mot 100% dérivé du grec, « Massalia » et « logos », la science de Marseille. Dire « la science de Marseille », c’est envisager la science du fait marseillais, l’étude minutieuse de ce que cette ville construit, détruit, montre et cache. Mais c’est aussi parler de la science depuis Marseille et vers le monde, se pencher sur l’universalité du fait marseillais. Car nous pensons en toute mauvaise foi que l’étude de Marseille débouche nécessairement sur des connaissances à portée universelle. Mais c’est aussi plus sérieusement une réaction quasi épidermique face aux jugements extrêmes et au manque de considération dont souffre Marseille, qui mérite bien une science à elle. Un devoir pour le chercheur à Marseille.
Comme l’a bien expliqué Nicolas, il s’agit de se parer, ou s’emparer du stigmate de marseillologue que l’on propose de renverser. Comment ça, M.Pinson, ce serait sale de centrer son regard sur Marseille ? Non seulement nous revendiquons de le centrer sur Marseille, de s’y complaire, et tels des psychanalystes, d’affirmer que toute tentative de remise en question est une attaque de marseillophobie (ou parisianisme, c’est selon).
Nous proposons d’ouvrir un champ de recherche pluridisciplinaire qui considère à la fois Marseille comme le terrain de leurs travaux et comme la base de leurs constructions inductives. Marseille, lieu de brassage des populations concentre un échantillon de la planète dans toute sa diversité. Aussi, étudier Marseille, c’est étudier le monde.
Mais c’est aussi une réaction aux jugements extrêmes portés sur Marseille. Que ce soit en bien ou en mal, des que l’on parle de Marseille, on aime à simplifier, vulgariser, opposer, que ce soit le Chicago ou la Barcelone française, le Marseille-bashing ou le Marseille-branling, tout ça manque de recul et de mesure.
C’est pourquoi la marseillologie est un devoir, celui de concentrer ses efforts intellectuels sur l’objet Marseille. Il existe bien des Chaires d’histoire de France ou des études chinoises, alors nous affirmons que si la France a droit à des chercheurs qui se penchent sur elle, Marseille en mérite bien autant.
Ainsi, même si le projet porte les traces d’un manque revendiqué de rigueur scientifique, nous pensons très sérieusement qu’il permettrait de créer de la connaissance sur Marseille, d’en étudier les (dys)fonctionnements, et se faisant, offrir des pistes de travail pour l’action publique et privée. Nous appelons donc tous les marseillologues à nous contacter en vue d’organiser cet été, au camping, le premier Sommet de la Nouvelle Société Savante en Marseillologie.
Bonjour, qui pourrait expliquer que veut dire « tautaulogique »?
Bonjour CA,
En fait, il s’agit de tautologique (désolé pour la coquille – corrigée grâce à vous). Une tautologie est une sorte de « lapalissade », une évidence qui ne se justifie que par elle-même :
« s’il n’était pas mort, il serait encore en vie ».
Dans notre cas, et plus largement, dans tout culturalisme, on veut dire que ces rappels font l’économie d’explications et permettent de naturaliser et d’essentialiser des formules, telles que « les Marseillais sont des rebelles / insolents / bordéliques parce qu’ils sont Marseillais ».
On y reviendra.
Merci de votre intérêt
Aaah, merci pour votre réponse.
J’ai hâte de connaître la suite des aventures!