Par Jean-Marie Leforestier
Que retirer d’une Nuit debout téléportée aux Flamants ? Journaliste, Jean-Marie Leforestier nous a proposé son regard sur cette soirée où se sont rencontrés des militants qui se parlent peu.
Ma curiosité m’a poussé à me rendre aux Flamants samedi soir, non pas pour un reportage classique, mais plutôt pour écouter, comprendre ce qu’il se passe et me poser la question : événement ou non-événement ?
Longtemps, la soirée s’est résumée à un contraste prévisible (voir ce papier dans Marsactu), à cette organisation balbutiante, à cette maladresse immense qui a prévalu à l’organisation de la soirée. Dit autrement, le curieux du centre-ville que j’étais attendait qu’il se passe quelque chose, qu’une étincelle vienne bousculer les positions des uns et des autres. L’affluence maigre, la quasi absence d’habitants (seules quelques militantes très en vue) ne m’incitaient guère à y croire.
Finalement, cette étincelle est venue en deux temps. En vingt minutes, deux femmes ont permis à la soirée de basculer. La première, une militante Nuit debout venue du Cours Julien a parlé de la fracture de la ville contre laquelle elle ne s’était pour l’heure pas levée, de sa faible connaissance des combats et des acteurs des quartiers populaires. Sans culpabilité mais avec une forme de sincérité, presque de mise à nu qui clamait « voilà d’où je parle ». Venir « pour apprendre à se connaître, pour converger », une posture humble qui tranchait avec les combats du départ centrés autour de la figure épouvantail du bobo et de la précarité comparée entre un habitant du centre-ville et un résident d’une cité.
La seconde femme est une figure militante des quartiers Nord, Rachida Tir, la présidente de l’Alliance savinoise, une associations des habitants de la Savine (15e). A 21 h 30 passées, la Nuit debout montrait qu’elle aussi pouvait s’assoupir, chacun y étant allé de ses interventions sur la loi Travail, le statut des intermittents, les conditions de vie au Centre de rétention Administrative de Marseille et la situation des sans-papiers… Rachida Tir a voulu vérifier que la convergence pouvait se faire en chansons, non pas les habituels chants de lutte mais des titres du répertoire populaire (quoiqu’un membre de la Nuit debout soit venu rappeler avec l’accent que « If I had a hammer » est bien un chant militant). « Ça, ce sont vos chansons », disait-elle après avoir fait reprendre en cœur « Aux champs-elysées » ou « Siffler sur la colline ».
Est-ce l’ambiance enfin apaisée, le formalisme de la Nuit debout (gestes codifiés, tours de parole, etc.) émoussé par trois heures de causeries, la pénombre qui avait gagné l’esplanade qui jouxte le centre social fraichement inauguré ? La parole s’est faite plus libre. Mourad, un militant qui – initialement – ne souhaitait pas prendre la parole s’est avancé vers le micro :
« Dans nos quartiers, il faut tout reprendre à zéro, depuis la maternelle. Et d’ici vingt ou trente ans, on n’entendra peut-être plus les kalachnikovs », a-t-il expliqué, visiblement ému.
Ces discours-là, moins formatés, ont alors commencé à émerger à l’heure où certains avaient déjà sauté dans l’ultime bus susceptible de les ramener vers le centre-ville. Alors seulement, la promesse de se revoir a paru bien plus sincère. Les « Nuitdeboutistes » ont incité les gens du cru à créer leur propre rassemblement, comme les Madrilènes indignés avant eux, qui avaient démultiplié leur Puerta del sol en assemblées de quartier.
L’histoire ne dit pas si la flamme prendra, si les occupants du Cours Julien réussiront un jour à projeter leur Merci patron – retoqué samedi soir – sur les murs des Flamants et si les militantes et les habitants du quartier se sentiront concernés par son propos. Elle ne raconte pas non plus si les tracts concoctés à la va-vite et appelant « les bénévoles compétents à s’engager trois heures par semaine pendant un an » dans des activités dans les quartiers ont suscité des vocations. Elle ne dit surtout pas, plus largement, ce que les militants de Nuit debout retiendront de cette expérience dans leurs pratiques. “Vous avez vos codes, nous avons nos codes”, leur a-t-on martelé. Mais les « bienvenue » finalement lancés ont paru eux aussi bien plus sincères que ceux de convenance lancés par Fatima Mostefaoui en préambule après un long monologue marqué par la défiance :
« Vous venez libérer notre parole ? Mais notre parole est libre. »
(Faute de prise de notes, les citations de ce post, certifiées conformes par mes soins, sont empruntées à Libé et au Monde)
PS : Voilà pour mon ressenti, assez proche je crois, de l’article de Libération à ce propos . La présence (massive) des journalistes a été largement critiquée sur les réseaux sociaux. “Attirés par l’odeur” du sang a dit un blogueur acteur de la Nuit debout Pour ma part, j’ai déjà assisté à quelques réunions de Nuit debout et y retournerai certainement. Aller aux Flamants me semblait donc une continuité logique.