Touchez pas à la Plaine*

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Cette semaine, le carnaval de la Plaine et sa déflagration médiatico-politique.

Alors que sa réputation n’est plus à faire, le Carnaval indépendant de la Plaine, Noailles et des Réformés a suscité une indignation inédite. 6 500 participant·e·s selon la préfecture (qui a fait preuve, une fois n’est pas coutume, de générosité dans le compte) ont manifesté un sidérant relâchement des gestes barrières. Le port du masque et la distance physique pulvérisés dans une irruption du monde d’avant qu’on envisage dans un avenir de plus en plus lointain. Et le carnaval d’accomplir sa double fonction d’abolition et de renversement symbolique de l’ordre social. Certes, les preuves manquent pour considérer les rassemblements en plein air comme moments super-contaminateurs, mais comment ne pas avoir en tête la dégradation de la situation sanitaire et la saturation des services de réanimation en voyant ces images ? Et tandis que le maire évoquait la « profanation » du lieu de mémoire de la rue d’Aubagne, la droite locale fustigeait ces danseur·se·s costumé·e·s mais démasqué·e·s et qualifiait le carnaval « d’attentat sanitaire », accusant la majorité de laxisme et de complicité. La prophétie de M. Vassal voyant dans le Printemps marseillais un cortège de black blocks anisés se réalisait soudain.

Ces réactions confirment le statut de la Plaine dans les politiques urbaines et les luttes sociales à Marseille. La requalification amorcée en 2015, le chantier lancé à l’automne 2018 et qui entre dans sa dernière ligne droite ont braqué les projecteurs sur ce quartier populaire qui fait l’objet de puissantes recompositions sociales. Symbole de la politique de « montée en gamme » de la municipalité précédente, il est l’un des lieux où le discours de « reconquête » se manifeste par l’édification d’un mur censé mettre à l’abri la mise en œuvre d’une opération d’amanégement. Le marché immobilier devant faire son office et accompagner l’arrivée des classes moyennes supérieures. Paradoxalement, la 21e édition du Carnaval indépendant de la Plaine a été la démonstration de ces évolutions. Car ses habitué·e·s l’ont finalement peu reconnu. Certes, le Caramantran a été jugé et brûlé, les étourdi·e·s qui avaient oublié leur déguisement, enfariné·e·s, la police a jeté quelques grenades lacrymogènes et interpellé une poignée de carnavaliers. Mais, à la lecture des compte-rendus, domine l’impression d’une forme de gentrification subie par le Carnaval. Après l’aménageur, le spéculateur immobilier, le policier, l’adjoint au maire, la Plaine se découvrait un nouvel ennemi : un public venu, déguisé, l’applaudir depuis Valence, Naples, Briançon Millau ou Paris. Touché, la Plaine ?

* Titre d’une chanson écrite par Manu Théron