La toute première fois

Chaque lundi, la Nouvelle société savante de Marseillologie vous propose 2 600 signes sur l’Agora de Marsactu pour évoquer l’actualité politique, économique, sociale ou culturelle de la ville.

Cette semaine, l’actualité politico-judiciaire chargée invite à un retour sur la première des affaires.

L’élu aux cimetières qui utilisait la voiture de fonction pour des vacances en Italie et préférait la dolce vita au respect du code de la route. Des révélations sur l’audition de Jean-Claude Gaudin qui charge ses collaborateurs. Des perquisitions à la mairie pour des soupçons de favoritisme dans un marché public de fourrière animale. La condamnation du Responsable syndical pour licenciements abusifs. Le bras de fer judiciaire qui oppose la Métropole à FO sur le blocage des centres de transfert en pleine grève des éboueurs. L’affaire des fausses procurations qui vaut inéligibilité au député, ancien maire du 11-12.

Le début de l’année est chargé sur le front des affaires-politico-judiciaires qui partagent une toile de fond sordide, grotesque, ou les deux ; mélange de cynisme, d’incompétence et de sentiment d’impunité. Et cette impression d’une permanence. Des affaires Andrieux, Guérini, Tapie, fausse factures, Urba, Sabiani… Mais où cette éternité a-t-elle commencé ?

La scène se passe en juin 1886*, la ville vient de subir une nouvelle et sévère épidémie de choléra – la 5e en moins d’un siècle. Dans un contexte de peur sanitaire que nous connaissons bien, et de tentatives de modernisation de l’action publique urbaine, la mairie songe à rebâtir son système de gestion des eaux usées. Un ingénieur parisien (mais personne alors pour le lui reprocher) se présente pour proposer ses services. Frédéric Chavarel, c’est son nom, a une idée pour assainir les eaux de Marseille, mais il a surtout de l’argent pour convaincre les conseillers municipaux de l’adopter. Certains acceptent les pots-de-vin, d’autres les dénoncent. Chavarel et quelques élus sont condamnés. La presse se déchaîne en faisant par accumulation de scandales, le procès de Marseille :

« Ce procès n’est malheureusement pas un événement isolé ; les conseillers municipaux de Marseille n’ont que trop largement fourni, ces dernières années, le contingent de consciences élastiques. Un autre payait sa maîtresse avec des bons de pains et de viande. Un autre encore, dont le procès a été publié, Garnier, se faisait remettre par les entrepreneurs d’omnibus, qui sollicitaient l’octroi d’une ligne, des pots-de-vin au ventre arrondi. Cette fois, ce ne sont plus des concussionnaires, ce sont des corrompus ». 

Nettoyer Marseille de la peste, du choléra ou de la covid ; assainir la ville de la corruption… étonnant comme ce champ sémantique hygiéniste voisine avec celui des affaires mettant en cause des élus. Et où, contrairement aux accusations contre le prolétariat pouilleux, la ville pourrit de la tête, comme la sardine.


* L’affaire est décrite par Marco Bar dans « Dénoncer la corruption… Accuser Marseille (1880-1910) », in Maudire la Ville, Presses de Septentrion, 2021, p. 91.