La Provence, la presse locale et le capitalisme municipal

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Cette semaine, le duel Niel / Saadé pour le rachat de La Provence

Avec le décès de Bernard Tapie, c’est l’avenir de La Provence qui est remis en jeu. Pour succéder à son actionnaire principal, deux offres concurrentes sont sur la table. L’issue de ce duel cruciale pour l’avenir de la presse locale, pourrait également être utile pour comprendre l’évolution du capitalisme dans la cité.

Dans le coin parisien, et en tête des faveurs des bookmakers, Xavier Niel. Le fondateur de Free, copropriétaire du Monde est également investi dans la presse régionale puisqu’à travers sa holding NJJ, il détient depuis février 2020, l’intégralité des parts du groupe Nice-Matin (Nice-Matin, Var-Matin, Monaco-Matin). Il est également propriétaire de Paris-Turf qu’il a racheté à Jacques-Henry Eyraud (notons qu’à ce stade rien n’indique que la stratégie de Niel soit de se spécialiser dans le rachat de journaux d’anciens patrons de l’OM). NJJ n’est pas inconnu pour l’actionnariat de La Provence, puisque la holding dispose de 11% des actions du groupe. Mais la situation judiciaire de Tapie rend l’affaire, comme le reste, complexe. L’arbitrage dans l’affaire du Crédit lyonnais est toujours en suspens et avec lui, l’ensemble des possessions de Bernard Tapie.

Dans le coin marseillais s’est donc déclaré Rodolphe Saadé, le PDG de la CMA-CGM, entreprise symbole de la ville dont le siège est littéralement devenu le vaisseau amiral du nouveau front de mer depuis son inauguration en 2010. Conseiller par un baron de l’ère Gaudin-Vassal, Yves Moraine, l’armateur promet de sauvegarder l’emploi, jetant en creux un trouble sur l’offre de Niel. Si pour l’heure cette dernière reste largement favorite, la velléité de Saadé pourrait indiquer l’expression d’ambitions nouvelles pour le patronat portuaire. Historiquement absent du pouvoir municipal à de notables exceptions près (Jacques Rastoin le fil de l’industriel Emile Rastoin fut le premier adjoint de Defferre entre 1953 et 1977), les entrepreneurs de négoce trouvaient dans la chambre de commerce leur lieu de notabilité quasi-exclusif. La crise industrialo-portuaire des années 1970 avait amorcé une lente agonie de la présence des « grandes familles » (il faut lire ce classique de Pierre-Paul Zalio à leur propos). Pourquoi Saadé – le fils d’un autre Jacques – a-t-il des vues sur La Provence, une institution médiatique aux liens inexpugnables avec le patriotisme municipal et son pouvoir ? Quelles sont les intentions des duellistes, non pas seulement pour la pérennité du titre et de l’emploi, dans un contexte toujours difficile pour la PQR, mais aussi en termes de ligne éditoriale et de rapport aux pouvoirs locaux ?